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Baiser de Rideau

par Mout

Le spectacle terminé, l'acteur se retire en fond de scène. Ce lourd borniol rouge écrase l'instant, vitrifiant la scène précédente tel un émail éblouissant. La fosse est comblée dans cette salle comble. 

Un personnage meurt, l'acteur souhaiterait le rejoindre. C'est d'ailleurs ce à quoi le metteur en scène l'enjoint. Il est seul, dans l'obscurité. Il s'y perd. Il cherche quelque part où poser son regard, mais rien ne l'accroche. Sa seule réaction est d'allumer une cigarette. Il observe ce bout incandescent, dernière réminiscence de la chaleur des projecteurs. Il y est suspendu, elle lui est suspendue, chacun ayant besoin l’un de l'autre. A la différence que, lui, est malheureusement encore en vie. A l'éclat de cette lumière, il tente de se libérer mais, sans se contrarier.

Il se laisse se consumer. Quelle délicate attention de donner si aisément sa vie. Mais il ne sait faire que ça. Il ne sait que donner.

 

Des étoiles dans les yeux, le doux rideau de velours vient encadrer cet instant qui n'est plus que le souvenir d'un moment. Il se lève et quitte sa place au milieu de cette masse sanglante d'individus émus.

Arrivé chez lui, il n'accorde pas le moindre tungstène à sa demeure. Il est dans le noir total. Mais il n'est pas seul. Il est accompagné par son souvenir. La mémoire de cet acteur qui lui demeure. Il ne l'oubliera jamais, ces gestes, ces paroles, ces émotions. Il les as vécues avec lui. Il ne l'oubliera jamais, son être, sa vie, sa motion. Il ne l'oubliera jamais... Jusqu'au prochain. Un doux frisson le parcourt. Sa solitude l'agrippe, l'oppresse, le jette sur son fauteuil. Accroché à son propre vice, il est replongé dans ce qu'il ne connaît trop. Voici un nouveau spectacle pour lui, un spectacle dans un fauteuil.

Il se laisse se vider. Merveilleux moment de consommation du temps. Mais il ne sait faire que ça. Il ne sait qu'expirer. 

 

Le monde tourne autour de lui. Il est plongé dans ce magnifique chaos. Les gens tournent, les individus tournent, les esprits tournent, sa tête tourne. Il sait ce qui l’attend. La torpeur de la douleur. La douleur de la peur. Il y prend goût, il l’aime, il aime cette erreur, il l’aime, il aime cette terreur. Il l’aime. Il y perd goût. De l’amour naît la quiétude. De la perte naît l’inquiétude, dernière douceur avant l'absolu.

Rongé, il chevauche une dernière fois sa compagne. Le remord.

Rongé, il chevauche une dernière fois son amante. La mort.

 

L’esprit torturé, l’expiration laisse place à l’inspiration. Il saute hors de son fauteuil. L’étoile qu’il a vu briller sur scène l’a fasciné. Il se laisse voguer vers son cœur. Son propre cœur. Il n’y a pas de vague à l’âme, qu’un fantastique voyage sans escale. Il l’aime, il aime ce qu’il a vu, il l’aime, il aime ce qu’il y a reconnu. C’est en réalité lui-même qu’il aime. Lui-même au travers d’un autre.

Changé, il quitte encore une fois sa compagne. L’apathie.

Changé, il quitte encore une fois son amante. La parésie.

 

 

Un acteur est décédé.

Un artiste est né.

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